Interview de Cédric Klapisch par Indy Blave à propos de "Peut-être"
Lorsque Jean-Paul Belmondo est mort le 6 septembre 2021, les hommages ont naturellement fusé sur toutes les chaines de télévision. Et c'était chaque fois la même chose, plus ou moins : On évoquait les films d'auteur dans un premier temps puis sa période dite "populaire" qui semblait systématiquement se terminer par "Itinéraire d'un enfant gâté". Quid de ses films d'après ? Sous le seul prétexte qu'ils avaient moins bien marché en salles et laissé une marque moins indélébile dans son immense carrière, ses films post-1988 n'avaient pas le droit d'être cités.
Il y a pourtant au moins deux films qui figurent parmi ses meilleurs durant cette période : "Les misérables" de Claude Lelouch et "Peut être" de Cédric Klapisch.
C'est en faisant ce constat d'oubli qu'il m'est venu l'idée de tenter de joindre Cédric Klapisch dont je suis fan absolu depuis que j'ai découvert, presque par hasard, "Le péril jeune". Quelle ne fut pas ma surprise qu'il accepte une interview autour de "Peut-être" ! Le rendez-vous fut pris un samedi matin au téléphone.
Voici ci-dessous une interview qui, je l'espère, vous donnera l'envie de (re) découvrir ce merveilleux film :
Indy Blave : D'où vient la genèse du film ?
Cédric Klapisch : C'est le film que j'ai eu le plus de mal à monter. La gestation du film a duré entre 5 et 6 ans. Vu le côté surréaliste du film, les gens n'y croyaient pas beaucoup et étaient dubitatifs sur le sujet. Même Jean-Paul Bemondo, quand on s'est rencontrés, m'a dit "J'ai lu le scénario mais j'ai préféré rencontrer le réalisateur !". Et c'est suite à notre rencontre qu'il a accepté. Il y avait quelque chose qui faisait un peu peur dans le projet.
Du coup, on a beaucoup réécrit avec les deux scénaristes, Santiago Amigorena et Alexis Galmot, avec qui j'avais déjà écrit "Le péril jeune". Ce projet, on avait vraiment aimé le travailler ensemble tous les trois car il a été fait pour recréer quelque chose ensemble, entre nous, qui n'était pas du tout sur le même terrain que "Le péril jeune" qui était lié à nos souvenirs de lycéens.
Là, on avait envie d'inventer un film qui soit davantage une fantasmagorie. A l'époque on l'appelait "Un conte philosophique". C'était vraiment fait pour être dans la lignée des contes philosophique de Voltaire notamment "Candide" ou les romans de cette époque là. Grosso modo, cela devait être une énorme farce qui aide à réfléchir. Du coup, il y avait, à la fois, ce côté débile de l'énorme farce, tout en ayant un côté qui veuille dire quelque chose. Donc ce n'était juste quelque chose de vain et débile. En tout cas, la gestation du projet c'est cela : On a un projet difficile à financer et on a changé plusieurs fois de producteur pour y arriver.
Finalement ce sont les producteurs du "Péril jeune", qui n'étaient pas censés faire cela, qui ont pris en charge le projet et c'est Warner, qui venait d'arriver en France et qui souhaitait miser sur des réalisateurs français, qui a mis de l'argent là dedans. Mais cela a été vraiment compliqué de trouver le financement !
Pendant longtemps, je n'ai pas compris pourquoi je faisais ce film. J'avais une espèce de nécessité à le faire. A l'époque, au moment où je l'ai écris, je n'avais pas d'enfant, j'en ai eu un juste avant le début du tournage. Comme cela racontait l'histoire d'un jeune avec sa copine qui veut un enfant alors que lui n'en veut pas, je me disais "C'est bizarre parce que moi je veux un enfant donc je comprends pas pourquoi je raconte cette histoire !" (rires).
Mais en fait, il y a davantage l'idée de jouer avec le futur. Comme on était vers 98, il y avait l'approche de l'an 2000 qui était mine de rien une date qui avait symbolisé le futur pendant des décennies et là on y arrivait avec un futur qu'on ne m'avait pas raconté tel quel étant petit. Du coup cela a été un espèce de jeu sur "C'est quoi le futur ?, Quel est le monde pour nos enfants ?". Cela a été ça l'idée de départ.
I.B. : Jean-Paul Belmondo a t-il été votre premier choix pour jouer le fils de Romain Duris ?
C.K. : Je crois que oui... Je me demande si je ne l'ai pas proposé à Michel Serrault mais qui a très vite dit non. Du coup il a été mon deuxième, qui était en fait mon premier. Mais je n'avais osé l'appeler en direct en me disant "Il ne va jamais accepter !" Et puis, je me suis dit "Demande quand même !" et il a accepté ! Même si cela a mis du temps, il a vu qu'on était sur la même longueur d'ondes et ca m'a fait plaisir car, pour moi, c'était une figure mythique. C'était agréable qu'il comprenne le projet. Je pense d'ailleurs qu'il s'est marré en le faisant. Cela lui a rappelé ce qu'il faisait, par exemple, avec Philippe de Broca.
I.B. : Est-ce que Romain Duris s'est imposé comme une évidence pour incarner le père de Jean-Paul dans le film ?
C.K. : Au départ ça devait être Mathieu Kassovitz. Et Mathieu m'a dit non parce qu'à l'époque il préparait "La haine". C'était au début car le projet a duré 5 ans, J'avais fait des essais avec lui et cela marchait vachement bien. Et puis les années sont passées... Cela paraissait moins évident pour les financiers que ce soit Romain car il n'avait fait que trois films et n'était pas connu. Il n'avait donc pas du tout la notoriété de Mathieu Kassovitz. On a quand même tenté le coup et cela a marché miraculeusement. C'était vraiment un film important pour nous deux. C'est sur ce film là que s'est fait notre complicité alors que sur les deux autres... Sur "Le péril jeune" j'avais 31 ans et lui 19...Il y avait une différence d'âge qui faisait qu'on n'était pas vraiment copains, il y avait une distance...
"Peut être", c'est le tournage le plus dingue que j'ai vécu dans ma vie. Les gens qui ont vécu ce tournage s'en souviennent. Il était très marquant, très coupé en deux : Le réveillon du nouvel an a duré trois semaines et puis il y a eu le voyage en Tunisie où l'on a reconstitué des rues parisiennes, il y avait des bouts d'immeubles construits dans le sable, dans les dunes entre Douz et Tozeur (en Tunisie). Les gens qui ont vécu le réveillon de trois semaines ou le tournage en Tunisie ont été marqués profondément, à tout jamais. Je sais que le producteur Farid Lahouassa ou Romain Duris ont vécu leur tournage le plus fou.
I.B. : Comment a réagi Romain Duris quand il a su qu'il allait tourner avec Jean-Paul Belmondo ?
C.K. : Ca a été un choc ! Parce que, pour nous tous, c'était le plus grand acteur français ! Il y avait le côté "star absolue". On l'a souvent raconté : Le premier jour de tournage, c'est pendant la fête au moment où Belmondo arrive pour parler avec son père (Romain Duris donc) et Romain doit lui donner une gifle... C'était super difficile pour Romain car il n'osait pas lui mettre une gifle et c'est Jean-Paul qui l'a aidé à se décoincer... C'était assez drôle de voir Jean-Paul aider Romain à lui mettre une baffe (rires) ! C'était drôle aussi car c'était le moment où il y avait également les scènes avec Léa Drucker : Il y avait Jean-Paul Belmondo qui la soulevait et qui la balançait à l'autre bout de la pièce ! On avait mis des matelas mais il l'a vraiment jeté alors même qu'il avait 66 ans ! On est tous allé voir Léa ensuite pour lui demander "Ca va ?" et elle "Ouais ouais j'adore !".
Tout le monde était dans un état un peu fébrile parce que, quand Belmondo faisait un truc, tout le monde était fan. C'était vraiment marrant ce premier jour de tournage car cela nous a mis directement dans l'ambiance. Dès le deuxième jour de tournage, il s'est installé une complicité entre Romain et Jean-Paul qui était jolie à voir car j'avais un peu "Un singe en hiver" dans la tête sur un mélange de génération d'acteurs où Belmondo, à l'époque, était le jeune face à Gabin. J'essayais de retrouver cette complicité entre un jeune avec quelqu'un de plus âgé et je voyais que ça prenait entre Romain et Belmondo. Ils passaient vraiment des heures ensemble à se parler tous les deux. Je pense d'ailleurs que Jean-Paul lui a donné beaucoup de conseils sur sa carrière et sur le fait d'être un jeune acteur.
I.B. : Justement, n'avez vous pas créé, en quelque sorte, un fils spirituel de Belmondo à travers Romain Duris, qui d'ailleurs a repris plus tard le rôle de "Léon Morin, prêtre", qui confirme un peu cette filiation ?
C.K. : Oui. Mais Jean-Paul a eu beaucoup de fils spirituels !
I.B. : Oui il y a Dujardin aussi...
C.K. : Oui Dujardin, Dupontel, Lellouche, Canet... On était tous à l'enterrement de Jean-Paul et il y avait vraiment cette sensation que tous ces gens là, avec leurs différences, pouvaient revendiquer une filiation. Jean-Paul a vraiment "créé" des acteurs sur la façon d'être décalés, de ne pas "rentrer dans des cases"... Je pense que tous les acteurs qui ont envie d'avoir ce chemin là, qui ont envie de faire un film d'action et un film intello, ont cette ouverture grâce à Jean-Paul.
I.B. : Comment les autres "jeunots",que sont Vincent Elbaz, Emmanuelle Devos..., ont-ils accueilli Jean-Paul ? Etaient-ils impressionnés aussi ?
C.K. : Tout le monde oui ! Je crois que c'est ça qui est fou avec Jean-Paul Belmondo. Je crois qu'il n y a pas d'autres acteurs comme lui. Car même Gérard Depardieu n'est pas aussi consensuel. C'est à dire que Depardieu, il y a des gens qui le détestent. Belmondo, il n'y a personne qui le déteste. Je l'ai raconté au moment de sa mort : Une fois j'ai marché pendant 300 mètres sur les Champs-Elysées avec Jean-Paul Belmondo et, je n'ai jamais vécu cela, les touristes, les enfants, les adultes, les vieux se retournaient et souriaient en le voyant passer. C'était fou de voir que tout le monde le reconnaissait ! C'est un degré de notoriété qui est rare.
I.B. : Comment s'est déroulé le tournage en Tunisie ? Y'a t-il eu des "couacs" ?
C.K. : Le gros "couac" ça a été la météo. On a été dans le désert pour avoir du soleil, il n'avait pas plu depuis cinq ans je crois, et il a plu pile pendant une semaine alors qu'on y était... Cette semaine là était vraiment difficile car on essayait de gagner du temps à ne pas tourner en attendant qu'il fasse beau. Cela était le seul gros "couac", assez usant, ça nous a bien plombé, mais cela ne se voit pas trop dans le film.
Hormis cela ? C'était éreintant pour le chef déco tunisien, qui avait déjà travaillé sur "Star Wars"; Il avait construit des vraies avenues parisiennes, les fonds verts n'existant pas à l'époque
I.B. Le film débute par un faux film de science-fiction du style "Star Trek" ou "Star Wars". Est-ce qu'à travers cette scène, il y a le rêve inavoué de vouloir réaliser un gros film de science-fiction "à l'américaine" ?
C.K. : Non parce que je serais incapable de faire cela. Par contre me foutre de la gueule de ça, j'en avais assez envie ! (rires). C'était vraiment important de partir sur un pastiche en disant "on a tous pensé que le futur, cela allait être cela, qu'on allait vivre dans les étoiles..." C'était vraiment pour se foutre de la gueule de l'imagerie du futur qui commençait à être passéiste. Même à l'époque, en 1998, "Star Trek" c'était ringard. C'était cela l'idée : dire que la vision du futur était "has been" C'était finalement assez drôle de pointer cela.
I.B. : Comment vous est venu l'idée du sable ?
C.K. : J'ai fait plusieurs voyages, notamment au Maroc et au Yemen. C'est au Yemen, l'un des plus beaux pays que j'ai jamais vus, que l'idée a pas mal mûri. Il y a beaucoup d'architecture dans le film qui reproduit ce qui existe au Yémen. Et j'ai toujours aimé les déserts. On pense souvent que dans un désert il n'y a rien alors que c'est pas vrai. C'était pour raconter cela : Alors qu'on était déjà dans ce monde de surconsommation et de surproduction, se dire "Et s'il n'y avait plus rien ?". Il y avait aussi l'idée du "Marchand de sable" avec l'imagerie du rêve à travers le sable. Et puis l'idée de voir des bouts d'immeubles parisiens sortir du sable, j'ai trouvé cela très beau dans mon imagination. J'ai fait travailler un story-boarder qui a mis cela en images et j'ai vu que cela fonctionnait très bien. Du coup, je me suis dit "Partons là dessus !". C'était le début des trucages numériques donc c'était possible de fabriquer cela. Il y a quelques films, dont "Star Wars", qui ouvraient la voie à ce genre de choses et du coup je me suis dit "Inventons une nouvelle façon de faire du cinéma et de fabriquer des images". Cette idée du sable et de Paris était possible avec les moyens du bord. C'est pour cela que j'ai choisi le sable.
L'autre idée du film, c'était "Et s'il n'y avait plus d'électricité ?" On le remarque peu dans le film mais il n'y a plus d'électricité. Et de ce fait se poser la question : S'il n' y a plus d'électricité, qu'est ce qui n'existe plus ?
Les gens qui regardent le film maintenant pensent que c'est un film sur le réchauffement climatique. Et évidement, cette question là n'existait pas avant 2000... De ce fait, c'était pas du tout volontaire que ce soit un futur possible. J'avais inventé ce futur car il me paraissait impossible. Très étrangement, en seulement 20 ans, ce futur est devenu possible et même envisageable ! C'est le côté très troublant de ce film.
I.B. : Justement, l'avez vous construit comme un film écologique à l'époque ?
C.K. : Oui car il y avait déjà cette idée là. J'avais en tête "L'an 01" de Jacques Doillon ou "La belle verte" de Coline Serreau qui étaient des films écolos. L'utopie de "S'il n'y avait plus rien ?", elle part des années 70 avec ce que les écolos de l'époque essayaient d'inventer.
I.B. : On voit dans le film des similitudes avec "Retour vers le futur" : Les futurs enfants qui essaient de réunir leurs parents afin de pouvoir exister ou encore la jambe de Belmondo qui disparait qui rappelle la photo où les personnages disparaissent dans le film de Zemeckis... Le film a t'il été une source d'inspiration ?
C.K. Pas du tout ! J'ai découvert "Retour vers le futur" il y a 4 ou 5 ans. J'ai vu effectivement des similitudes.
I.B. : Ce futur de sable, il vous fascine ou il vous fait peur ?
CK : Ce que raconte ce film, c’est que, quelque soit le futur, on fera avec. C’est finalement ce que disent beaucoup de films de science-fiction, même dans les films catastrophes ou les films post-apocalyptiques : Malgré les bombes atomiques, les gens finissent par ressortir des abris et recommencent à vivre. Même si on se dit que le monde n’est pas aussi confortable et civilisé qu’avant, on reconstruit une vie. Dans cette vision pessimiste du futur, il y a quelque chose d’optimiste parce que l’on se dit que la vie est plus forte et, quelque soit le futur, on arrivera à faire avec. Donc oui c’est une posture forcément optimiste.
I.B. : Dans le film, vous jouez avec "la légende Belmondo" : On voit des photos de lui jeune et l’on aperçoit même une affiche de « Pierrot le fou ». Dans "Peut-être", c’était aussi "la légende Belmondo" que vous vouliez également mettre en avant ?
CK : Oui, c’est la liberté que j’ai pris avec ce film qui a un côté fantastique et surréaliste. Dans le film, on se demande tout le long si le personnage de Romain Duris rêve ou si c’est la réalité. Le but du film, c’est qu’il soit transporté dans le futur et qu’il rencontre son fils de 70 ans. Je me suis dit que, dans la mesure où Belmondo est une légende, il n’est presque pas réel. D’ailleurs quand je l’avais rencontré, je m’étais demandé cela : « C'est fou, est ce qu’il existe vraiment ? ». Il y avait ce côté de personnage surnaturel. Du coup, je jouais avec cela. Cette affiche dans la chambre, ça donnait une piste sur le fait que Romain Duris avait peut-être rêvé de ce personnage. C’était une façon de brouiller les pistes de son rêve.
I.B. : En revoyant le film, ce qui m’a marqué c’est le contraste entre la jeunesse actuelle (celle de 1999) qui semble fuir la réalité notamment en fumant des pétards alors, qu’à l’inverse, les humains du futur semblent davantage dans un rapport d’unification qui accepte le monde qui l’entoure. Est-ce le sens que vous avez voulu donner à votre film ?
CK : Non pas vraiment… Mais c’était drôle d’inventer la fête du futur, « le slow du futur » qu’on a inventé avec les gens qui dansaient face à face. C’était drôle car il fallait tout le temps être créatif au niveau du maquillage, des costumes, des coiffures et plein d’autres choses. Il fallait chaque fois trouver des idées sur n’importe quoi. Il y a eu des choses qui nous ont vraiment amusé : il y avait cette trottinette bus avec 10 personnes qui patinaient. C’était vraiment un film où l’on pouvait inventer des trucs comme ça.
I.B. : Les acteurs improvisaient-ils parfois leurs scènes ?
C.K. : C'était assez écrit en fait. Il y a eu des scènes qui ont « sauté ». Il y avait Madame René qui avait pas mal improvisé mais les scènes qu’elle a tournées ont eu lieu la semaine de pluie. Cela donnait des scènes très grises que l’on n’a pas gardées. Il y avait Zinedine aussi qui improvisait pas mal. Il y avait davantage d’improvisations dans la fête avec notamment Vincent Elbaz qui est assez fort dans ce domaine.
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